KINBAKU
FEMINISME
Je ne suis pas venue au shibari par conviction féministe ou par volonté artistique (dans le but de produire des performances). Non, j'y suis venue à titre personnel, par curiosité, attirance pour une esthétique, un univers fantasmagorique, une philosophie, une expérience introspective et relationnelle, une nouvelle façon d'être au monde, de s'y situer.
Ceci dit, cela fait désormais 5 ans que je vis des moments de cordes avec des hommes, des femmes, des amis, des inconnus, des amants… et je peux dire aujourd'hui comme cela raisonne avec ma démarche féministe, ou plus généralement politique.
En effet, il s'agit pour moi de se débarrasser d'un point de vue particulierement manichéen à propos des relations humaines, plus explicitement ici de domination, de soumission, de hiérarchie, de pouvoir, mais finalement pas beaucoup plus que dans l'ensemble des relations sociales que nous entretenons tous avec l'ensemble de nos congénères.
Donner ma confiance à quelqu'un c'est déjà me l'accorder à moi même. Accepter la contrainte que l'on m'applique c'est d'abord accepter celle que je m'impose. Expérimenter la question du consentement et de ses subtilités c'est me confronter à mes propres contradictions, limites, libertés, incertitudes, convictions…
Apprendre à recevoir et à donner est aussi un élément important de cette pratique, en ceci je la trouve éminemment politique.
Pour aller plus loin, je dirai que mon féminisme implique de m'octroyer le droit de jouir de ce qui me plaît, d'assumer totalement mes fantasmes, et de tolérer ceux de tous les autres, je dirai même plus, de les accepter.
Enfin, je trouve que l'esthétique, la symbolique visuelle des cordes, de la douleur ou de l'abandon, de la lutte ou de la connexion, de la communion, exprime très bien ce que je pense des enjeux de l'être au monde. C'est une jolie poésie de la vie.
VIOLENCE
Vivre, c’est violent. On arrive au monde dans une effusion de sang et de cris. Les rapports sociaux, la difficulté d’être, le passé, le présent, le futur, la famille, l’amour, le travail, la survie et la recherche de l’épanouissement personnel, chaque instant de la vie est fait de violence que chacun gèrera comme il peut, que cet état de fait soit conscient ou non. C’est l’injustice profonde du cycle inéluctable de la vie qui représente pour moi la violence primordiale du fait d’exister. Un vieux politologue disait « L’Etat détient le monopole de la violence légitime », c’est ce qui fait sa force, c’est aussi en cela qu’il est toujours plus ou moins fascisant. Et bien, selon moi, avant l’Etat, il y a la vie. Pourtant, aucun de ces deux organes de pouvoir n’est totalement incontrôlable, ni totalement « intranscendable ».
Ainsi, je ne dirai pas que le bdsm est hors de la violence, exempt de violence, pour les raisons que je viens d’exposer. OUI, nous vivons dans un monde violent et chacun à notre façon nous nous débattons pour reprendre le contrôle de cette violence qui nous est infligée et que nous infligeons aux autres et collectivement à la planète entière, mais NON, le bdsm n’est pas simplement une mise en abîme ou une catharsis de la violence ordinaire.
Chaque « pratiquant » y trouve quelque chose de tout personnel, je ne pense pas pouvoir faire de généralité à ce sujet. En ce qui me concerne, le bdsm vient répondre à différents questionnements que j’ai entamés bien avant de découvrir mon attirance pour ce genre de pratiques. Des questionnements philosophiques, psychologiques, physiques aussi. J’aurai aussi bien pu me mettre au yoga, à la méditation, au footing, aux coloriages… j’ai commencé par me faire initier à des plantes chamaniques très puissantes, et puis je suis venue au shibari. Sans doute que cela correspond à ma personnalité, à mon besoin de méthodes et d’outils « violents », on y revient. Parce que oui, dans le shibari, mon corps est malmené, mon esprit aussi, puisqu’ils ne font, selon moi, qu’un. Oui, je cherche à me mettre dans des conditions physiques et psychologiques extrêmes ou intenses. Oui lorsque j’attache quelqu’un, que je lui colle une pince à linge sur la langue, oui, je me sens utiliser un répertoire, un vocabulaire, du champ de la violence. Alors qu’est ce qui fait vraiment la différence ?
LE CONSENTEMENT, LES INTENTIONS, L’OBJECTIF.